September 18, 2020

Pâle réconciliation ? Les enjeux des prochaines élections présidentielles en Côte d’Ivoire

Cote dIvore

(Photo by Eva Blue on Unsplash)

Êcrit par Adou Djané Dit Fatogoma, Centre Suisse de Recherches Scientifiques and Institut National de Santé Publique and Briony Jones, University of Warwick and WICID

(Lire l'article en anglais)

Le 24 août 2020, le Président Alassane Ouattara de Côte d'Ivoire a été autorisé par la Commission électorale indépendante (CEI) à se présenter aux élections pour un troisième mandat en octobre 2020. Ouattara avait précédemment déclaré qu'il ne se présenterait pas, et avait désigné le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly pour lui succéder comme candidat de son parti, un allié politique dont il ne tarirait pas d’éloges en le décrivant de la manière suivante : « Sa loyauté n'a jamais faibli. Amadou est plus qu'un collègue, plus qu'un frère; c'est un fils » (Africa Confidential 19th March 2020). Lorsqu’Amadou Gon Coulibaly meurt subitement en juillet 2020, Ouattara n'avait pas de « plan b » (Le Monde 8thJuly 2020); il annonce alors qu'il se présenterait aux élections à l’occasion de son discours à la nation du 6 août 2020 à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du pays. Cette déclaration a suscité des troubles dans le pays qui ont fait 2 morts (Africa Confidential 27thAugust 2020).

Pendant que le président Ouattara obtenait l'autorisation de se représenter, la CEI se basant sur des condamnations de la justice ivoirienne, radie de la liste électorale l'ancien président Laurent Gbagbo, et à l'ancien président du Parlement Guillaume Soro. Ils ne peuvent ainsi ni voter encore moins de se présenter aux élections (Africa Confidential 19th March 2020). On se retrouve ainsi dans un cercle vicieux de politique et de violence qui se poursuit. Ouattara avait lui-même été interdit de se présenter aux élections présidentielles jusqu'aux élections de 2010 qui ont occasionné une crise post-électorale ayant fait plus de 3000 morts. Dans ce blog, nous engageons la réflexion sur ce que cela signifie pour la réconciliation en Côte d’Ivoire et à la manière dont un dialogue politique ouvert et inclusif est plus important que jamais.

Dans la foulée de sa victoire contestée, Ouattara a mis en œuvre un processus de justice transitionnelle marquée par des procès de ses opposants devant des tribunaux nationaux, une commission nationale d'enquête et une commission vérité, dialogue et réconciliation de même qu’au niveau de la cour pénale internationale (CPI). Il ne semble ne pas être impressionné par les accusations de justice des vainqueurs et a plutôt promis une réconciliation nationale fondée sur la prospérité économique et la cohésion sociale. En 2015, il a clairement exprimé sa compréhension de la réconciliation dans un discours public :

« Être réconcilié, c'est d'abord pour moi, avoir un pays pacifique, où les gens vivent en harmonie avec les mêmes égalités des chances et je peux vous dire que c'est le cas. Il n'y a pas de zones réservées à aucun groupe ethnique. Dans tous les quartiers d'Abidjan, tous les groupes ethniques sont réunis. Pouvons-nous mieux concilier que cela? Si vous allez à Korhogo, Gagnoa, etc., vous trouverez des gens de toutes les ethnies. Fondamentalement, il ne doit pas induire en erreur la notion de réconciliation nationale en la reliant à une personne ou à un événement. […] La crise post-électorale était très grave. Plus de 3 000 personnes ont été tuées. Il est nécessaire que les personnes impliquées soient jugées ici ou ailleurs. D'ailleurs, si nous ne le faisons pas, les tribunaux internationaux le feront un jour. Tout le monde sera jugé ici. […] Il y a un élément clé dans ce que j'ai lu sur la réconciliation. C'est le bien-être de la population. C'est ce que nous faisons : un taux de croissance de 8 à 9%, réduire la pauvreté, construire des écoles, assainir l'environnement, etc. Une fois que nous aurons terminé tout cela, les tensions vont baisser » (President Ouattara’s speech, Fraternité matin, vendredi 26 juin 2015. N° 15164 p 6 et 7).

Les controverses autour des élections à venir en octobre de cette année démontrent les dangers du court-termisme lorsqu'il s'agit de faire face au passé, ainsi que les risques d'une démocratie à « case à cocher » sans débat substantiel et sans transparence pour jeter les bases d’une prospérité économique durable selon la version de la réconciliation de Ouattara. Il n'est pas clair que son approche puisse aborder et prendre en compte les questions d'exclusion d'individus de la course à la présidentielle, de la crise profonde de la légitimité démocratique ou des cycles continus de violence. L'histoire du système politique ivoirien est faite d’exclusion : soit l'exclusion de l'opposition par le régime au pouvoir, soit l'auto-exclusion par des partis d’oppositions qui refusent de participer à ce qu’ils estiment être une mascarade. Depuis l'introduction de la politique multipartite dans les années 1990, cette dynamique a continué à façonner le paysage politique et continue de façonner le débat sur la réconciliation aujourd'hui.

Nous pouvons le voir dans la reconfiguration de l’espace politique et des batailles en vue des élections d’octobre. L'ancienne alliance politique qui dirigeait le pays de la crise post-électorale jusqu'en 2019 est éclatée désormais, et les dirigeants des partis politiques autrefois favorables sont désormais des opposants à Alassane Ouattara. Le principal reproche qui lui est fait est de ne pas parvenir à la réconciliation pour tous les Ivoiriens, y compris ceux qui sont toujours en exil et ceux qui se trouvent dans les prisons nationales. Le 31 août, l'archevêque d'Abidjan, le cardinal Jean-Pierre Kutwa, a organisé un point de presse au cours duquel il a évoqué la situation sociopolitique en Côte d'Ivoire et a déclaré qu'à son avis « la candidature d'Alassane Ouattara pour un troisième mandat n'est pas nécessaire… la réconciliation est plus importante que les élections… ». Cela a provoqué une levée de boucliers entre soutien et d'opposition, démontrant à quel point la voie de la réconciliation est extrêmement source de division.

Cote Divore reconciliation

(Photo by Adou Djané)

Le chef de l'ancienne rébellion, Guillaume Soro, est désormais condamné à une peine de prison par contumace et nombre de ses partisans, dont des parlementaires, sont également en prison. Le Parti démocratique de Côte d'Ivoire - Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) et le Front populaire ivoirien (FPI) de l'ancien président Laurent Gbagbo ont signé un document cadre de collaboration sur le `` Projet de réconciliation des Ivoiriens pour une paix durable '' le 30 avril 2020, au siège du PDCI-RDA à Cocody. Les objectifs de la nouvelle `` alliance '' sont de trouver le pardon dans la vérité et la justice, d'éliminer les séquelles de crises successives, de trouver des solutions originales aux problèmes qui sont à la base de ces crises, et de construire ensemble une `` nouvelle Côte d'Ivoire '' sur la base de principes, règles et valeurs partagés par tous les Ivoiriens et tous les étrangers résidant en Côte d'Ivoire. Mabri Toikeuse, leader de l'Union pour la démocratie et la paix (UDPCI) et dernier à quitter l'alliance au pouvoir, a annoncé sa candidature et a lancé une nouvelle plateforme électorale avec d'autres partis: «Nous venons d'achever la première série de signatures pour lancer cette plateforme électorale. C'est aussi une plate-forme pour la paix. Je voudrais remercier toutes les parties qui nous font confiance en nous rejoignant dans notre combat pour la paix».

Le lundi 14 septembre 2020, le Conseil constitutionnel a annoncé sa décision de retenir 4 candidats sur les 44 postulants aux élections présidentielles. Cette décision du Conseil constitutionnel a donné à l’ex-président Henri Konan Bédié l'occasion de se présenter comme le candidat qui se bat contre l'exclusion politique : « J’ai pris acte de la validation de ma candidature par le Conseil constitutionnel. Cependant, je dénonce la validation de la candidature inconstitutionnelle de M. Alassane OUATTARA et l'exclusion arbitraire et antidémocratique de grands dirigeants politiques, notamment Laurent GBAGBO, Guillaume SORO, Mabri TOIKEUSSE, Mamadou KOULIBALY et Marcel Amon TANOH. Il faut rester en ordre de marche pour une alternance démocratique en vue de construire une Côte d'Ivoire réconciliée, solidaire et prospère ». Dans le contexte de la politique ivoirienne, cela a une certaine ironie car c'est Bédié lui-même qui a été associé à l'introduction du concept d'ivoirité visant à exclure Ouattara de la course présidentielle entre 1994 et 1999 sur la base des allégations de sa lignée burkinabé.

Quand on observe ce qui se passe actuellement autour des prochaines élections, on est donc exactement dans la même situation qu'en 1995, 1999, 2000, 2010 où l'on a vu des violences politiques. La réconciliation promise par Ouattara ne s'est pas concrétisée, non pas parce qu'elle est la faute d'un individu ou d'un parti politique en particulier, mais parce qu'il est long de se réconcilier avec une longue histoire de violence politique, d'exclusion politique et d'inégalité entre les groupes ethniques, une tâche de long terme qui n'est ni prévisible ni linéaire. Les recherches menées par Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire identifient un certain nombre de défis à la cohésion sociale, notamment les inégalités en matière de propriété foncière, le manque d'opportunités économiques pour les jeunes et la réduction de l'engagement civique. La capture de l'espace politique, auparavant par Félix Houphouët-Boigny, qui a régné de l'indépendance en 1960 à 1993, puis par des tentatives successives d'exclure des individus des courses présidentielles, a sévèrement restreint l'espace pour un dialogue public sûr sur les défis et les réalités de réconciliation. La réconciliation peut avoir une connotation différente selon les personnes et les groupes. Il ne s’agit pas d’un problème propre à la Côte d’Ivoire, mais d’une tension inhérente aux appels à la réconciliation partout où nous les entendons. Dans quelle mesure différents points de vue peuvent-ils être intégrés dans un projet national de réconciliation? Car si la réconciliation doit aboutir au type de cohésion sociale que les Ivoiriens ont promis depuis des générations, elle doit être fondée sur le dialogue, la reconnaissance des autres et pouvoir accueillir des expériences et des points de vue variés. Si la réconciliation elle-même disparaît de la vue pendant que les politiques se disputent, ce seront les Ivoiriens qui continueront à en subir les effets.

Lire l'article en anglais


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